L'arrivée du Qi Gong

Publié le par innersmile

par Léon René de Cotret

Harnacher l'énergie vitale pour en faire un outil martial, thérapeutique et même spirituel. Tel est l'objectif de la pratique du Qi Gong, qui s'implante peu à peu en Occident.

Cul-de-sac. Comment rendre compte d'une pratique dont les adeptes affirment qu'il faut l'expérimenter pour la connaître, et qu'elle ne pourrait être décrite que par le langage de la poésie...

Je m'assois sur le bout de ma chaise, je ferme les yeux et je prends une posture de Qi Gong: pieds bien au sol, paumes des mains jointes, colonne vertébrale droite, tête légèrement ramenée vers l'arrière, soutenue à son sommet par un fil qui monte vers le ciel; un autre fil tire mon coccyx vers la terre. Philippe Gagnon, instructeur de la Société de tai chi taoïste, avait tenté de me résumer ce que représente pour lui, après 20 ans, la pratique des arts de santé orientaux, dont le Qi Gong: «C'est léger mais ça ne flotte pas, c'est massif sans être lourd, et détendu sans être mou; cela rend l'esprit vide mais, pourtant, totalement présent.»

Je calme ma respiration et je constate qu'il y a en moi un élan créatif, fébrile, qui voudrait tout dire sur le Qi Gong: ses origines qui remontent à plus de 5000 ans, ses applications thérapeutiques remarquables, sa puissance comme outil de conscience, sa pratique simple et complexe à la fois, sans oublier ses maîtres qui font éclater des cailloux entre leurs doigts ou se font passer sur le corps par des autobus... Je m'abandonne à sentir où se situe mon Qi. Je découvre que mon élan créatif, quoique plein d'enthousiasme, est débridé et peu canalisé; il ressemble à une soudaine et puissante pulsion sexuelle. En contrôlant ma respiration, en effectuant des mouvements qui impliquent les organes génitaux, là où mon Qi est particulièrement présent en ce moment, je le guide par ma pensée vers mon coccyx, puis le long de ma colonne vertébrale, jusqu'à le laisser se répandre dans mon cerveau. Je suis calme et des frissons parcourent mon corps, de la tête vers le bout des membres.

«La pratique et l'expérience ne trompent pas, du moment que l'on est guidé par un maître compétent» m'avait dit Sandra O'Connor qui enseigne le Tai Ji Quan et le «travail du Qi» selon l'enseignement de Vlady Stevanovitch. «En fin de compte, tous les arts martiaux qui impliquent un travail énergétique intérieur se rejoignent et procurent ce que j'appelle, faute de mieux, un « événement d'amour avec la vie ».

Finalement, l'énergie du sourire intérieur pénètre en moi par le sixième chakra et colore mon Qi qui redescend du cerveau vers mon Dan Tian, derrière le nombril. Je suis en paix et je souris à mon cul-de-sac...

L'auto-massage du corps

«Qi» signifie énergie vitale ou souffle, et «Gong», travail, maîtrise. Le Qi Gong (prononcer tchi kong) désigne un ensemble de pratiques visant à maîtriser son Qi, c'est-à-dire à le ressentir avec autant d'acuité, sinon plus, que n'importe quelle sensation physique, le faire circuler, l'accumuler, l'utiliser à sa guise et même le projeter à l'extérieur de soi. Rappelons que le Qi n'est pas un concept abstrait ou symbolique, mais une énergie spécifique dont l'existence a été démontrée selon des critères scientifiques (voir le Guide Ressources du mois dernier).

Le Qi Gong comporte trois éléments essentiels: des postures et des mouvements précis, la maîtrise de la respiration et la concentration mentale qui guide le Qi. Le Qi Gong s'apparente à un auto-massage que l'on effectuerait avec notre propre corps plutôt qu'avec nos mains, nous permettant d'en atteindre toutes les parties, non seulement externes, mais aussi internes. Ainsi, certains mouvements de torsion ou de compression agiront sur des organes particuliers, comme le coeur, les reins ou l'estomac. De plus, cette action physique, en concordance avec la respiration et la concentration, favorise la circulation de l'énergie dans les méridiens et dans tout le corps; ainsi, le Qi participe activement au «massage», à partir de l'intérieur du corps. C'est la synergie de l'énergie avec les mouvements.

Des centaines de mouvements ou d'ensembles de mouvements ont été élaborés pour prévenir ou guérir telles ou telles maladies, ou pour équilibrer certaines fonctions vitales: une série pour soigner la faiblesse d'où origine votre arthrite, une autre pour renforcer votre volonté, ou pour prévenir le diabète, etc. Le Qi Gong peut donc être considéré comme un art de guérison, mais il ne se limite pas à cela. Son objectif est de permettre de puiser à la source même de la vie, de contacter sa propre énergie vitale ainsi que le Qi universel, afin d'harmoniser l'ensemble de ses organes et de ses systèmes, autant les muscles, les nerfs, les tendons et les os que les chakras, les émotions, les sens et les corps subtils. Philippe Gagnon rappelle, à cet effet, qu'on ne pratique pas le Qi Gong dans un esprit de performance pour atteindre un sommet à 25 ans, comme chez les athlètes de compétition - dont l'état de santé devient souvent déplorable par la suite - mais qu'on vise une amélioration constante et globale de la santé... et le sommet à 99 ans!

J'ai participé à deux ateliers avec Nicole Tremblay qui enseigne le Qi Gong selon une approche développée par Mantak Chia. Ce maître, originaire de Thaïlande et qui vit à New York, a synthétisé et structuré l'enseignement reçu de ses maîtres, pour l'adapter à la culture occidentale, devenant ainsi celui qui a le plus contribué à faire connaître le Qi Gong hors de l'Asie. Il propose, entre autres, des pratiques sexuelles qui permettent aux hommes d'atteindre l'orgasme sans éjaculer, et aux femmes d'avoir la totale maîtrise sur leurs menstruations, tout ceci dans le but de conserver à l'intérieur de soi la puissante énergie sexuelle et de la «recycler» à des fins créatives.

Je connaissais l'existence des chakras et des méridiens depuis des années mais, malgré plusieurs expérimentations, ceux-ci demeuraient pour moi des concepts relativement théoriques: ils sont devenus concrets et palpables dès les premiers exercices de l'atelier de Qi Gong. En réalisant l'orbite microcosmique, par exemple, qui consiste à faire circuler le Qi dans la partie supérieure du corps, je constate que l'énergie se dirige d'elle-même vers les points où on me suggère de la guider, comme si c'était le cours normal des choses. J'ai à la fois la sensation de la guider et de la suivre. Je remarque également que je ressens plus facilement l'énergie à certains endroits qu'à d'autres; ici elle coule, là elle s'arrête, ailleurs la sensation s'estompe. Après une heure, à force d'y diriger mon Qi, je découvre où sont mon foie, mon estomac, mes reins...

Depuis, plus je pratique, plus j'arrive à maîtriser mon Qi et à le ressentir dans mes actions quotidiennes. L'intégration se fait graduellement, mais les possibilités semblent infinies, puisqu'on accède à une énergie fondamentale, à la fois personnelle et universelle. Les mouvements de Qi Gong sont simples et faciles à exécuter, mais leur cohérence avec la respiration et la concentration permet de les raffiner indéfiniment.

Des moines aux médecins

La première mention d'exercices physiques thérapeutiques apparaît dans le Nei Jing Xuan, le plus ancien traité de médecine connu, vieux de 4700 ans. Au VIe siècle avant notre ère, dans son Dao-De-Jing (La voie de la vérité et de la vertu), Lao Zi désigne le Qi Gong comme un des éléments du taoïsme. Ce sont surtout les moines taoïstes qui ont maintenu vivante cette science, mais l'interdiction de la religion par le régime communiste chinois, dans les années 50 et 60, a forcé de nombreux moines à l'exil tandis que d'autres ont été tués ou emprisonnés, et beaucoup d'écrits détruits.

Pendant que la pratique du Qi Gong se répand en Occident, paradoxalement, il semble qu'en Chine elle se soit passablement dénaturée et que même le mot Qi Gong ait perdu son sens original. Francine Tellier, qui a étudié le Qi Gong à Beijing, en a été témoin: «A la fin des années 70, après des années de répression, on a décidé de réintroduire les arts martiaux et énergétiques, mais dans un cadre très strict. D'une part, toute la médecine énergétique a reçu le nom de Qi Gong et a été confiée aux acupuncteurs, aux massothérapeutes et aux herboristes; d'autre part, on a transformé les exercices martiaux, comme ceux du Tai Ji et du Qi Gong, en une gymnastique simple et accessible à toute la population, après en avoir retiré la plupart des attributs énergétiques.»

Le Qi Gong médical, par contre, est assez répandu et les hôpitaux chinois qui l'utilisent, désormais appuyés par le gouvernement, réalisent beaucoup d'études cliniques. La thérapie par le Qi Gong s'effectue soit en prescrivant au patient des exercices spécifiques, soit en le soumettant à un Qi émis par des maîtres de Qi Gong. Depuis une dizaine d'années, des conférences internationales tenues en Chine, en Europe et aux États-Unis ont démontré l'efficacité de cette pratique pour améliorer le bien-être général, stimuler le système immunitaire, accroître le taux de globules blancs, améliorer la digestion et la circulation sanguine et contribuer à guérir des maladies cardiaques, des troubles respiratoires, le cancer, le diabète, l'arthrite et l'hypertension. Selon le Dr Yves Réquéna, de l'Institut européen de Qi Gong, les travaux n'ont pas toujours la rigueur souhaitée par les chercheurs occidentaux, mais il y a tellement de témoignages qu'il est difficile de les réfuter tous.

Une pratique dans laquelle on doit être guidé

Introduit depuis peu en Occident, le Qi Gong connaît déjà une impressionnante popularité en Europe et aux États-Unis. Au Québec, seules quelques personnes l'enseignent régulièrement en tant qu'outil de croissance personnelle. Son aspect médical y est à peu près ignoré, tandis qu'en Ontario et dans la région de Vancouver, quelques maîtres, venus de Chine, le mettent en pratique. Toutefois, de plus en plus d'écoles de Tai Ji incluent le Qi Gong dans leur enseignement.

Certains enseignants croient qu'il vaut mieux ne pas aborder la dimension énergétique des arts martiaux tant que les élèves n'auront pas reçu une solide formation de base. C'est notamment l'avis de Roger Lagacé qui enseigne les arts martiaux en Estrie depuis près de 25 ans. «Il faut commencer par maîtriser les exercices et acquérir une bonne respiration. Si on aborde trop rapidement des techniques qui mettent en branle le Qi, la puissance générée peut être dévastatrice et occasionner des problèmes psychologiques. Le Qi Gong sert surtout à faire le plein d'énergie et ne constitue qu'une page du grand livre du Tai Ji qui comprend, entre autres, le karaté, le Gong Fu et le shiatsu». Pour Philippe Gagnon, de la Société de tai chi taoïste, le Qi Gong et le Tai Ji ont la même origine et le même objectif de transformation de l'individu, mais leur approche comporte des différences fondamentales, par exemple: «On pratique le Tai Ji lorsqu'on exécute les mouvements, les formes ou les postures. Le Qi Gong s'apparente plus à un processus continu; on peut «être en Qi Gong» 24 heures par jour, en dehors des exercices.»

Danielle Laferrière, qui donne des cours de Qi Gong selon l'enseignement du Dr Jean-Marc Eyssalet (voir Guide Ressources, mars 1994), estime qu'il est préférable de mettre en mouvement le corps énergétique par des exercices de respiration et de Dao-in (les fameuses postures de la série des animaux, ancêtre du Tai Ji) avant de pratiquer les exercices de Qi Gong.

Les personnes qui enseignent spécifiquement le Qi Gong croient qu'il est bénéfique de l'aborder comme pratique de base, à condition d'être bien guidé. Nicole Tremblay, qui transmet l'enseignement de Mantak Chia, insiste sur la nécessité d'épurer son énergie avant d'entreprendre l'étude du Qi Gong; à quoi bon faire circuler un Qi pauvre ou corrompu? Elle propose donc, à cet effet, une série d'exercices préliminaires. Elle offre également des cours de Tai Ji qui mettent l'accent sur la maîtrise du Qi.

Pour sa part, Francine Tellier inclut dans ses cours de Qi Gong des rituels de purification, à l'aide de bols tibétains. De plus, la plupart des exercices qu'elle enseigne comportent trois niveaux de difficulté, de façon à être accessibles même à des personnes malades ou handicapées. A mesure que les conditions le permettent, on peut passer à un niveau plus avancé.

La frontière entre les différents arts orientaux de conscience, de santé ou martiaux n'est pas délimitée avec précision. En voulant les définir avec notre exactitude occidentale, on risque de les dénaturer. Pour Sandra O'Connor de l'École de la Voie intérieure, il y a un piège à vouloir tout mettre dans des boîtes étiquetées, et elle salue l'esprit de décloisonnement et de démystification qui prévaut actuellement; en démystifiant les pratiques, cependant, on risque de tomber dans un piège aussi dangereux, celui de les désacraliser. Elle conclut en disant qu'elles appartiennent à une autre dimension où il n'y a ni boîtes, ni décloisonnement; à chacun de les expérimenter, pas de les expliquer...

L'acupuncture des années 2000?

En 1990, le New Age Journal notait que le Qi Gong (faisant surtout référence à son application médicale) se trouvait dans la même position que l'acupuncture 15 ans auparavant: objet de scepticisme malgré les démonstrations de son efficacité. Mais avant de devenir l'acupuncture de la prochaine décennie, le Qi Gong médical devra surmonter un obstacle majeur. Comme le faisait remarquer un récent article de la Revue française de médecine traditionnelle chinoise, en acupuncture, «l'action du patient est liée à une simple collaboration. Mais ce n'est pas du tout le cas du Qi Gong dans lequel le patient doit s'exercer lui-même pour accomplir le traitement.» Même les maîtres de Qi Gong qui traitent par émission de leur Qi prescrivent souvent de réaliser des mouvements précis chaque jour ou de changer des habitudes alimentaires, par exemple. Dans les hôpitaux de Chine où ont été effectués la plupart des tests cliniques probants, les patients pratiquent souvent le Qi Gong plusieurs heures par jour. Enfin, tous les adeptes du Qi Gong affirment la même chose: la persévérance est la clé du succès, car les résultats ne sont pas nécessairement immédiats. Sommes-nous prêts à nous soumettre à ce genre d'auto-traitement, quand les annonces de médicaments contre le rhume nous promettent 12 heures de superforme contre une seule pilule?

Le Qi Gong en direct

En 1990, après un séjour de quatre ans en Chine, Francine Tellier est revenue à Montréal, où elle enseigne maintenant le Tai Ji et et le Qi Gong. Elle prévoit s'installer définitivement en Chine, c'est-à-dire «chez elle» d'ici deux ans. Les arts martiaux et le Qi Gong, c'est sa vie!

- G.R. Francine, quelles sont les vertus du Qi Gong?
- F.T. Elles sont nombreuses, car elles améliorent votre bien-être à tous les niveaux; vous digérez mieux, vous dormez mieux, vous êtes plus détendu, vous avez plus d'équilibre physique et donc plus d'équilibre intérieur. De plus, en étant davantage connecté à votre source d'énergie, vous captez mieux les messages qui parviennent de votre corps. Une pratique assidue permet de développer l'intuition et la clairvoyance pour sentir les choses avant qu'elles ne se produisent, et décider alors de se tenir «dans le courant ou à l'extérieur du courant», comme disent les Chinois. Ici, on parlerait plutôt d'univers spirituel. Mais, chez les Chinois, ce qu'il y a de plus spirituel, ce ne sont pas les religions ou quelque chose d'évanescent qu'on essaie de saisir, c'est plutôt la façon dont nous sommes en relation avec nous-mêmes, la conscience de nos organes et de notre énergie, et comment nos humeurs affectent notre comportement et notre santé.

- G.R. Que rapportez-vous de déterminant de ce séjour en Chine?
- F.T. En plus d'obtenir un diplôme de maîtrise en Tai Ji et Qi Gong de l'Université de sports de Beijing, j'ai eu la chance d'étudier avec le maître Shi Ming - celui qui m'a fait geler debout pendant trois heures dans le parc. Il m'a transmis des connaissances qui ne se retrouvent ni à l'université ni dans les livres. Entre autres choses, il m'a enseigné des mouvements permettant l'ouverture des portes énergétiques, l'équivalent des chakras en Inde. L'ouverture des trois portes du dos est une expérience inouïe qui, dans mon cas, s'est accompagnée d'une douleur intense! Toutefois, quand les portes sont ouvertes, l'air peut entrer, le Qi aussi (rires). Je le dis en riant, mais c'est pourtant la vérité. N'oubliez pas que le Qi n'est pas un symbole, il est réel; les portes, ce sont de vraies portes, elles existent vraiment. Lorsque les portes sont ouvertes, le Qi circule librement et on a accès à une énergie grandiose.

- G.R. Pourriez-vous décrire ces exercices dans un livre?
- F.T. Je pourrais, mais je ne le ferai pas. Je n'ai enseigné ces mouvements qu'à quelques-uns des 2000 élèves que j'ai eus depuis mon retour de Chine. Même des gens bien préparés doivent être guidés, sinon ça peut être dangereux. Ces portes, comme le disent aussi les Tibétains au sujet du «troisième oeil», ont été fermées par une espèce de tissu cicatriciel, au fil de «l'évolution» de l'humanité. Quand elles s'ouvrent, c'est notre énergie la plus primitive, presque animale, qui se manifeste, parfois comme un volcan; elle est logée au centre de notre corps, au niveau du nombril, dans le Dan Tian (que les Japonais appellent Hara). On a tellement appris à la contrôler qu'il peut s'y trouver des forces bien plus grandes que ce qu'on est capable de gérer. La première personne à qui j'ai enseigné l'ouverture des portes s'est mise à faire de l'asthme et de fortes allergies; ces maladies étaient latentes en elle. Heureusement, en poursuivant son travail, elle a pu s'en libérer complètement.

- G.R. Qu'avez-vous appris d'autre avec ce maître?
- F.T. Le principe du vide. J'avais déjà lu que la transmission d'énergie ne se fait qu'en créant un vide. Maître Shi me l'a expliqué et démontré, en ce qui concerne tant les aspects thérapeutiques que martiaux, d'une façon que je n'ai retrouvée nulle part ailleurs. Je ne vois d'ailleurs pas comment on pourrait décrire toutes ces choses dans un livre; ça se passe à un autre niveau. Par exemple, il s'assoyait sur un banc et me disait: «Tu as l'impression que je suis là parce que tu me vois et que je te parle, mais mon Shen - mon esprit, mon âme - est sorti; ce que tu as devant toi, ce n'est que mon vêtement. La preuve: regarde là-bas, ces personnes qui pratiquent et qui se parlent, je vais en tirer une par derrière.» Paf! l'un d'eux tombait sur le dos. C'est une utilisation pratique du principe du vide; faire le vide ici, pour être présent là-bas.

- G.R. Avez-vous vu souvent de ces phénomènes?
- F.T. Bien sûr, on peut en voir quotidiennement. Les gens s'y entraînent. Quand on entre dans une salle d'escrime, on voit de l'escrime; là-bas, on voit cela. C'est tout naturel et c'est ainsi jour après jour; ça ne peut pas être «arrangé».

Le Qi au bout des doigts

Le Qi Gong n'est pas qu'une gymnastique; il comprend également la maîtrise de la respiration et la concentration du mental. La supervision par un professeur qualifié est essentielle pour perfectionner chaque mouvement (épaules détendues, colonne vertébrale droite, centre de gravité stable...), pour vous faire prendre conscience de là où se porte votre regard, vous aider à concentrer votre attention et à ressentir votre Qi, etc. Voici tout de même la description d'un exercice qui vous donnera peut-être le goût de dénicher un professeur.

Cet exercice assouplit les tendons des doigts et permet au Qi de sortir du corps, de se recharger et d'y revenir. Malgré sa simplicité, il peut apporter un grand calme et beaucoup d'énergie.

En position debout, souriant, pieds en parallèle à la largeur des épaules, genoux légèrement fléchis, bassin doucement basculé vers l'avant, allongez les bras devant vous, paumes vers le bas, en gardant les épaules détendues. En expirant lentement, allongez vos doigts sans forcer vos muscles en visualisant que vous étirez vos tendons. Simultanément, par votre pensée, laissez votre Qi sortir de quelques centimètres du bout de vos doigts. Puis, en inspirant doucement, détendez vos mains et laissez votre Qi, enrichi maintenant du Qi universel, revenir en vous par le bout des doigts. Vous pouvez mentalement diriger ce Qi vers le Dan Tian (derrière le nombril) où il s'emmagasinera. Répétez l'exercice quelques fois. Exécutez une nouvelle série en plaçant les bras en croix, une autre en plaçant les bras de chaque côté du corps. Terminez en joignant les pieds et en plaçant les mains sur le nombril. Ressentez la qualité de votre Qi et souriez!

Une âme de Chinoise

Un parc de Beijing, l'hiver à -10°_C, le vent souffle dru. Des dizaines de Chinois pratiquent leurs mouvements de Tai Ji ou de Qi Gong. Un peu à l'écart, un vieux maître de Qi Gong, réputé mais austère, et une jeune Québécoise, Francine Tellier.

«Ainsi vous voulez pratiquer le Qi Gong?»
- «Oui.»

- «Placez-vous devant cet arbre, prenez la posture: genoux légèrement fléchis, dos droit, aisselles dégagées... Fermez les yeux, respirez et ne bougez plus.»

«Je suis restée là, dans mes souliers de toile et ma veste trop légère; mes pieds ont gelé, puis mes mollets et enfin mes genoux. J'étais déterminée à montrer à cet homme de quel bois se chauffe une Québécoise habituée à l'hiver. J'ai mobilisé toutes mes ressources intérieures, j'ai mis en pratique ce que j'avais appris, tout ce que j'avais déjà lu... et j'ai épouvantablement gelé!»

«J'étais en Chine depuis 2 ans à étudier le Tai Ji et le Qi Gong dans une université de Beijing. Un homme rencontré dans un cours (j'ai su plus tard que c'était un champion des arts martiaux) m'a proposé de me présenter à un véritable maître de Qi Gong. Pour qu'un de ces maîtres daigne accepter un nouvel élève, il faut absoluement être introduit par quelqu'un qu'il a en très haute estime. J'avais eu de la chance... la chance de geler dans un parc du bout du monde.»

«Au bout de trois heures, il a mis la main sur mon épaule et m'a dit en souriant: «Revenez demain». Au prix d'efforts suprêmes, j'ai réussi à bouger un pied puis l'autre, à faire de petits pas et enfin enfourcher mon vélo. Le lendemain, j'étais de retour, mieux habillée cette fois. Je suis revenue assidûment pendant près de deux ans.»

Cet article a été publié dans le Guide Ressources, vol. 10, no. 2, 1994, p. 34-41. Tous droits réservés par Léon René de Cotret

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